lundi, avril 18, 2005

La cruauté de l'autre rive

Tous ces silences différents.
Pourquoi est-ce que je les vis si étrangement ?
Le silence de mort, des morts, n'en est pas réellement un pour moi. Parce que je le comprends. Il a une raison, un sens.

Mais le débordement de présence de celui qui délibérément ou par insouciance se tait, nous laisse dans le dénuement et l'attente. Le pouvoir infini de ce silence-là qui nous fait basculer dans la souffrance parce que tout se fige sous le poids de l'attente, tout se givre, tout se glace et que vous n'êtes plus qu'une statue de sel.
René Char en parlait comme d'un "hivernage de la pensée occupée d'un seul être que l'absence s'efforce de placer à mi-longueur du factice et du surnaturel".

Le silence de mort est plus franc parce qu'on peut le définir, en souligner les limitations comme les évidences.

Mais l'opacité de cet autre silence, le silence du faux achèvement de la parole qui ne fait que s'abstraire et non point disparaître, celui qui vous laisse face au vertige du sens à lui donner, du sens que vous n'arrivez jamais à percer, quitte à vous déchirer la paume des mains sur les arêtes de cette paroi infranchissable ?
Le silence de l'enfermement...

Je sais qu'il me faudra affronter le silence de mon père. Celui de sa disparition physique.
Et je me demande si, dans l'hypothèse où je décide de survivre à cette disparition, je ne souffrirai pas moins que dans ce no man's land actuel, cet état d'attente torturante qui décuple l'horreur de la perte annonçée.
Je vais le perdre mais il me parle.
Tant qu'il me parle, je ne l'ai pas perdu.

On ne perd réellement que qui se tait et vous laisse transi au bord du gouffre, sachant qu'il est toujours vivant sur l'autre rive, sans mémoire.

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