samedi, mars 26, 2005

Le bureau de mon père



Ne vous fiez pas aux apparences.
Sur le vieux cliché jauni et rayé, ça n'est pas le vermisseau hilare rampant avec sa peluche qui est le sujet central : c'est le bureau en arrière-plan.

Mon père a toujours travaillé sur ce bureau. Même le tapis sur lequel je gigote laborieusement est toujours là. Aux couleurs à peine passées.
Le bureau de mon père, c'était, c'est et ce sera toujours ma caverne d'Ali Baba. Mon île au Trésor. Mon chateau dans les nuages.
J'y ai appris à marcher. J'y ai appris à lire. J'y ai appris à me taire quand il travaillait.
J'y ai fait mes devoirs sur la petite tablette magique parce que coulissante devant laquelle je m'installais, face à lui, dans un silence de cathédrale. On la devine plus qu'on ne la discerne sur la photo.
L'autre jour, discrètement, en glissant ma main dessous, j'ai vérifié du bout des doigts que mon prénom y était toujours entaillé au Laguiole... Le sait-il ? Sait-il que j'avais ainsi marqué mon territoire dès mes 7 ans ?

Le bureau de mon père et ses odeurs de vieux cuir, de livres, d'encyclopédies, de copies d'élèves, d'encre et de colle blanche, des boules de gommes Euphon dans le deuxième tiroir de gauche qu'il prenait en début d'année scolaire pour se réacclimater à l'exercice de la parole 6 heures par jour.

Le bureau de mon père où, jeune prof et fauché, il donnait des cours de latin à de grands galapiats que je haïssais cordialement parce que c'était le seul moment où j'étais mise à la porte de mon royaume caché, de mon Avalon.
Ces imbéciles qui renâclaient devant les déclinaisons sans avoir la moindre idée du paradis dont, cruels et négligents, ils m'avaient chassée.
Mes premières envies de meurtre...

Le bureau de mon père, comme le socle de la maison, son épicentre.
Ma pierre de touche.

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