jeudi, novembre 04, 2004

Apnée sans remontée


Tu as beau te dire, à chaque fois que tu dévisses, que tu ne pourras pas tomber plus bas, plus dans le sombre que la chute précédente... tu finis toujours par te découvrir des ressources insoupçonnées dans la spéléologie des abysses où il ne fait pas plus bon vivre que mourir à petit feu.

Là, tu as fait très fort.
Un regard sur la table de la cuisine et l'improbable plateau de bois blanc verni avec ces mots d'une autre vie, ridicules de légèreté même pas désinvolte, ces mots à la calligraphie évidée qui en festonnent les bords longs : "Duvet", "Rêve", "Plume" d'un côté. "Ange", "Lune", "Nuage" de l'autre. Quel est l'imbécile heureux qui t'a offert ça, au fait ? Tu ne sais plus...

Sur le plateau, la théière couleur jade et.... le gros tas de courrier.
Non décacheté.

Tu feuillètes négligemment le lourd paquet d'enveloppes closes en attendant la sonnerie aigrelette du micro-ondes qui libèrera ton quinzième bol de café, les flammes-tampons te sautent à la gorge avant que tu ais eu l'intelligence de détourner les yeux : "Trésor Public", "CAF", "BCC", "ASSEDIC"...
Tu regardes une date au hasard : 28/07/2003...
Plus d'un an que tu n'ouvres plus ton courrier, hormis les lettres de la famille.
Plus d'un an...
Juillet 2003...

Comme une vague scélérate.
Sans prévenir. Sans que tu imagines même que c'était possible.
Tu n'as eu que le temps de te retourner vers l'évier, cassée en deux, déchirée sur toute ta longueur, comme tranchée par une scie électrique de la tête aux pieds.
Et vomir les quatorze bols de café.

Tu es restée de longues minutes, hébétée, avant de glisser à genoux devant l'évier, la main encore agrippée au rebord de faïence à t'en déboîter les jointures qui ont pris la même teinte que l'émail, le front appuyé sur les portes du meuble inférieur.
Sueurs froides.
Frissons incontrôlables.
Goût âcre de la bile sur ta langue.

Et depuis que tu t'es relevée, à bout de souffle, vacillant sur tes jambes qui, elles aussi te trahissaient, tu ne penses qu'à une chose. Une seule chose.
Comment fait-on pour passer de nouveau de l'ombre à la lumière ?

Aucun commentaire: