Réveillée trop tôt, ce matin.
J'avais pourtant besoin de récupérer après ces dernières semaines mais l'inattendu soleil de cette fin Octobre qui joue les rappels d'un été absent ou trop orageux, en a décidé autrement.
Pourtant, j'aurais bien aimé rêvasser encore un peu, investir cettre frange merveilleusement onirique entre inconscience et reprise de conscience, semblable à celle de l'endormissement... le meilleur moment !
Je vais tâcher de ne pas bouder mon plaisir et profiter de ce miracle de l'été indien...
Les montagnes, aspirées par la transparence de l'air et le taux d'humidité, semblent tellement proches qu'on pourrait presque compter les arbres et les rochers qui la parsèment. Les couleurs automnales, elles, sont bien là, et c'est justement ce qui rend le paysage aussi beau, ces derniers jours.
Finie la monotonie d'un même vert uniforme et triomphant. Victoire du mélange, du mariage des ors, des pourpres, des bruns, des rouilles avec un émeraude qui s'étiole sans s'affadir, tournant vers le jade précieux... explosion des camaïeux sous un soleil tendre et un ciel qui a perdu de sa violence sans perdre de la limpidité de son azur.
Cette nuit, je pensais au visage de mon père.
Je devrais dire au nouveau visage de mon père.
Il faut que j'en parle, que je mette des mots sur l'impression que je ressens, sur ce que ça signifie ou non pour moi.
Pour lui aussi mais, là, je n'en suis encore qu'aux suppositions parce qu'il est encore trop tôt pour en discuter.
Et puis, il y a tant de "si", de "peut-être", de "oui mais, plus tard"...
Tout ce vocabulaire qui relie à un demain que je n'arrive toujours pas à discerner devant lui, comme devant moi.
Me revient à la mémoire quelque chose qu'il a dit lors de mon départ de la maison familiale, hier.
J'étais déjà dans ma voiture et m'apprêtais à la marche arrière périlleuse, quoique connue par coeur, pour sortir du jardin. Lui, debout dans l'allée à côté de ma vitre ouverte qui me fait signe de m'arrêter un moment.
Et qui lance, avec un sourire de gosse que je suspecte plus qu'il n'éclaire son visage défiguré par cette semi-paralysie faciale : "Je n'en parle pas encore à ta mère mais, tu sais, dès que les infirmières auront refait mon pansement, lundi, je compte bien descendre faire quelques courses en ville..."
Moi... estomaquée...
J'ai bien saisi qu'il utilisait le prétexte de mes questions ou de mes inquiétudes quant à leur approvisionnement en denrées diverses et la façon dont les voisins allaient "assurer le service" mais je ne m'attendais pas à ce que, quasi provocateur, en un geste de défi, il décide aussi vite de "se montrer" sous ce jour de "gueule cassée", dans une petite ville où tout le monde le connaît, où il est une des "figures" des lieux...
Et mon Georges de rajouter, probablement parce qu'interprétant mal mon expression ébahie : "Ne t'inquiète pas ! Demain, je commence d'abord par faire des manoeuvres en voiture dans l'allée et dans le quartier pour vérifier que mon cou et ma tête sont suffisamment mobiles pour ne pas être un danger routier ! Et voir si mon angle de vision est suffisamment large, même avec cette satanée paupière qui ne m'obéit plus et qui masque à moitié l'oeil gauche !".... Il faut dire que, de prime abord, je n'avais pas pensé à cet aspect du problème, mais plutôt à sa fierté ou sa pudeur d'homme discret...
Comme quoi, même fracassé, même blessé aussi visiblement dans sa chair, c'est lui qui, une fois de plus, aura été le plus pratique et le plus responsable : il a raison ; la seule chose qui compte, c'est qu'il puisse conduire sans danger pour lui et pour les autres.
Je pense aussi qu'il a décidé de dompter ce démon-là, par la bravade, en l'affrontant le plus vite possible, en l'assumant et en l'arborant ouvertement pour le banaliser... "Oui, j'ai la tronche de traviole ! Et oui, c'est toujours moi ! Et oui, je m'en moque !"
En dépit de l'inquiétude que j'ai qu'il ne soit effectivement pas assez maître de sa vision et de ses réflexes pour ne pas risquer un accident, je me sens envahie d'une fierté débordante pour cette volonté de fer, ce sens de la lutte, ce mépris de l'accessoire aussi...
Ce soir, j'appelerai pour savoir si ses "tests de conduite" auront été concluants et s'il pense pouvoir se déplacer de façon autonome.
En priant pour que ce soit le cas et qu'il n'ait pas été déçu par les nouvelles limitations qu'il doit supporter.
Je donnerais n'importe quoi pour être libre lundi et descendre en ville avec lui, à ses côtés, conduite par lui, et me promener dans ces rues qu'il arpente depuis 60 ans de sa silhouette haute et longiligne, reconnaissable entre toutes...
Je serais bien capable de me rengorger bêtement comme une poulette de basse-cour !
samedi, octobre 23, 2004
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